Rencontre avec Hélen Durand, le savoir du sage.

Publié le par Loïck

Source photos: www.trapadis.com


Un homme à part dans le paysage de Rasteau.

N’y voyez rien de péjoratif, bien au contraire ! La 1ére fois que j’ai eu l’occasion de goûter les vins d’Hélen, j’y suis allé à reculons… en me disant « je vais encore perdre du temps à goûter des monstres de puissances écoeurants ». Et là, boom, en pleine tête, révélation. J’ai été tout de suite saisi par ses vins et leur rare élégance, avec en apothéose une grande émotion lors de la dégustation de la cuvée Ponchonnière, un grenache de vendange tardive, hors mode.

Intrigué, j’ai beaucoup discuté avec le vigneron et me suis très vite rendu compte de la sensibilité du personnage à appréhender le vin.

Sa connaissance pointue, ses jugements réfléchis sans concession, et ses grandes qualités de dégustateur me bluffent. Hélen est d’ailleurs un grand connaisseur et grand amateur de vins de Bourgogne...et du Languedoc!

Un vigneron qui à le talent et l’esprit pour faire de grands vins. Son modèle, Rayas, résume à lui seul la quête du vigneron.

Lire ci-dessous sans modération, et à méditer.


- Qui es-tu?

Je suis issu de famille rastelaine. Je représente la 4ème génération de vigneron. Je vais sur mes 35 ans et mon 19ème millésime. J’ai un BEP Agricole et un Bac Pro en viticulture œnologie fait à Orange, à deux pas de Chateauneuf du Pape : très pratique pour aller déguster après les cours.


- Parles-nous de tes débuts.

Tout petit j’était toujours dans les jambes de mon grand père maternel Papé René pour aller au potager ou dans les vignes. J’aimais beaucoup cette relation, ce contact avec la terre en ressentant une émotion et la satisfaction quand il y a vie ou récolte. Papé m’a donné l’amour de ce terroir et m’a appris à le respecter en me disant «  c’est ton outil de travail prends en soin, il te le rendra ».

J’ai commencé à travailler en 1986 après la séparation de mes parents sur le domaine de ma mère, Trapadis. Je m’occupais des vignes et des vins pendant les vacances scolaires et les week end, tout en étant à l’école. Je préférais être dans les terres ou dans la cave plutôt que sortir en mobylette avec les copains. En 1990 j’ai demandé à maman Michèle « je veux essayer de vinifier une cuvée ». J’ai voulu absolument la mettre en bouteille et elle a dit «  d’accord si c’est ce que tu veux faire dans l’avenir. ». Ensuite, en 1991, on a ouvert le caveau et commencé la commercialisation des 1ères bouteilles de Trapadis. Ce fut un grand moment de voir des bouteilles habillées avec mon nom dessus, j’avais bouclé la boucle.

J’ai fait mes stages de formation au Domaine La Soumade à Rasteau chez André Roméro qui était un vigneron avant-gardiste sur les méthodes de vinification donnant des vins hyper concentrés. En comparaison avec mes cours et mes vins c’était une autre vision de l’œnologie… A la fin de mes études j’ai travaillé 6 mois au Château de Beaucastel à Chateauneuf du Pape, là j’ai fait mes classes sur la culture bio et je me suis rendu compte que la vigne est une plante rustique, qui a des réserves pour se défendre naturellement contre les attaques de champignons, d’insectes et peut résister aux aléas climatiques.

A propos de mon approche avec le vin c’est venu très lentement, j’ai bu mon 1er canon de rouge à l’age de 5 ans toujours avec Papé René, mon pédiatre (certainement alcoolique). Il cautionnait mon début de cirrhose en disant à mes parents « il vaut mieux lui donner un peu de vin que du sirop ou des sodas. »  Longtemps je dégustais les vins plutôt que de les boire tout en étant attiré vers des vins de plus en plus concentrés en couleur, en tanin, en gras, en largeur et en épaisseur.

Vers 1998 1999, à une dégustation de Bourgognes (billet en tête que ça allait être de la merde) grand traumatisme ; j’ai découvert 2 choses, la 1ère est que le vin c’est fait pour être bu et procurer du plaisir voir même une émotion, la 2ème c’est que mes vins avaient ce profil digeste, fin avec une certaine fraîcheur. Depuis je tends le plus possible à réveiller cette noblesse du terroir de Rasteau et aussi à la rendre accessible. Voila comment j’ai mis le pied à l’étrier.




- Comment travailles-tu (à la vigne, aux chais…)?

Dans les vignes, l’idée générale est de retrouver un éco système dans chaque parcelle, avec un minimum d’intervention. Pour les vins, c’est d’avoir des raisins sains, murs et concentrés et simplement surveiller attentivement en agissant le moins possible sur l’évolution. Le Grenache agit comme un vecteur du terroir au verre, je le laisse faire. Depuis 1995 je n’utilise plus de produits de synthèses (insecticides et fongicides), plus de désherbants et plus d’engrais chimiques, uniquement du soufre, du cuivre à dose homéopathique, du compost et de l’huile de coude… Je fait plusieurs labours tout au long de l’année pour aérer, limiter le tassement, activer les micro-organismes, améliorer le drainage et favoriser l’allongement des racines en profondeur (va chercher le minéral !).

En 2007, j’ai fait les démarches administratives pour être en culture biologique chez ECOCERT. Depuis 2001 j’ai vraiment de bons résultats sur la qualité de la texture de sol, la vie microbienne, sur la santé du végétal et l’état phrénologique et sanitaire des raisins. Ce qui me surprend toujours c’est l’adaptation de la vigne au climat, qu’il pleuve (2002), qu’il fasse chaud et sec (2003), froid (2004), froid et humide (2006), on arrive toujours à maturité et il faut même faire attention à la sur maturité.

Mes méthodes culturales ont pour but de rallonger le cycle végétatif, donc ralentir les maturités pour plus de fraîcheur, de minéralité et de complexité aromatique. Je ne fait des vendanges en vert que sur les jeunes vignes pour les soulager, pas d’effeuillage (il cogne le soleil dans le sud !) et pour les rendements ça varie entre 15 et 40 hl/ha naturel. Cette variation est due essentiellement  à la concentration des grains en jus plus qu’au nombre de grappe par cep. J’essaie d’adapter la charge en fonction du sous sol, du sol et du végétal par la vigueur, pour obtenir un bon équilibre acide/sucre dans les jus. A la cave, chaque îlot géologique est vinifié séparément afin de respecter l’identité de chacun. L’idée est de travailler à la bourguignonne c'est-à-dire une parcelle pour une cuvée.

Pour les rouges, les raisins sont éraflés à 100%, légèrement foulés et encuvés en cuve béton. La macération dure jusqu’à la fin de la fermentation alcoolique ; entre 10 et 20 jours à une température de 24 à 27°C. L’extraction est douce, seulement un remontage court tous les 3 jours pour apporter un peu d’air aux levures indigènes. Je recherche plutôt l’infusion naturelle que la sur extraction, pour prendre dans le jus uniquement le meilleur de la peau. Les vins sont assemblés après la fermentation malo lactique et élevés pendant 10 mois en cuve sur lies fines en milieu réducteur pour éviter l’oxydation et l’ajout de soufre.

Les blancs sont pressés directement et entonnés au milieu de la fermentation alcoolique pour limiter la prise de bois. Les vins blancs sont élevés en barrique de 1, 2, 3 et 4 vins pendant 8 mois sur lies fines sans batonnage pour éviter de graisser les vins.



 

- Parles-nous de tes vins (ta gamme de vin)?

La gamme est en forme de tuyau de poêle mais voici l’explication : dans ma région, la tradition d’assemblage de terroir et de cépage au sein de l’appellation est fortement ancrée. Quand j’ai commencé à vinifier en 1990, je ne connaissais pas le goût de mes terroirs alors je les ai tous travaillé séparément et je me suis rendu compte rapidement qu’aucun ne se ressemblait ni complétait l’autre. Cette approche parcellaire m’a paru évidente dans l’accessibilité et la compréhension du terroir de Rasteau qui a une image de vin austère et rustique. Je pense que cette méthode très bourguignonne permet d’exprimer la noblesse du terroir en favorisant la droiture, la profondeur, la fluidité et la persistance aromatique.

J’ai 4 terroirs différents qui donnent les 4 vins principaux. Le 1er les sables et limons du tertiaire : Côtes du Rhône. Le 2ème les argiles rouge à cailloux roulés du tertiaire: Rasteau tradition. Le 3ème les argiles jaunes du tertiaire : Vin Doux Naturel Rasteau. Le 4ème les argile bleues du quaternaire : Rasteau Les Adrès (n’est ce pas Jean Philippe). Le reste de la gamme sont des micro cuvées comme : le blanc, le rosé, Harys, le Vin de Pays et les Ponchonnières. Les cépages Syrah, Carignan et Mourvèdre sont issus du même terroir correspondant à la cuvée. Le Grenache y est toujours majoritaire (minimum 70%) sauf pour Harys qui est composée de 80% de Syrah et 20% de Clairette blanche. Cet assemblage un peu tiré par les cheveux provient d’une erreur du pépiniériste à la plantation.

Le but ultime est  d’obtenir des vins qui transpirent le terroir dans toute sa noblesse avec l’emprunte du millésime sans en ressentir les défauts comme l’alcool, la sécheresse, la lourdeur et le superficiel.


- Tes cuvées Adrès et Ponchonnières sont le sommet de ta gamme. Représentent-elles le vin parfait pour toi ?

Je suis persuadé d’une chose : « on peut toujours mieux faire ». Au fil du temps, des millésimes et des expériences je comprends mieux mes terroirs en apprenant à canaliser les énergies qu’ils dégagent. Ce travail se traduit dans les vins par la pureté, la lisibilité, la précision ou même un éclat.

Concernant les Adrès, je suis assez content du rendu en vin jeune, pas satisfait pendant la période 3 à 5 ans et très étonné par cet épurement au vieillissement du à des floculations et des vaporisation successives, là je me sens vraiment minuscule…

Pour la petite histoire des Ponchonnières, j’avais fait ce vin pour moi, en laissant un carré de vignes non vendangé, pour voir. Dans l’idée de faire un vin naturellement doux, dans l’esprit d’un Rayas 1955 ou 1945 liquoreux mais en rouge. Après je l’ai fait goûter à des pots, et un jour j’ai fait faire les étiquettes… C’est un vin qui me transperce par ces vibrations ; avec lequel j’apprends toujours quelque chose à chaque fois que je le déguste et que je le bois.




- Rasteau est un village entouré de terroirs prestigieux et de grands noms, comment se différencier et « faire son trou » ?

J’essais de produire simplement et naturellement un vin qui reflète ses origines, en contenant ses extravagances, sans m’adonner à un exercice de style. « Je bois dans mon verre et je mange dans mon assiette ! »


- Le style de tes vins est basé sur la finesse et la précision, tout en gardant un caractère sudiste. C’est ce que tu recherches avant tout dans l’expression de tes cuvées ?

Oui. La noblesse du climat sudiste est la carte d’identité de mes vins. Le thym, la garrigue, les fruits rouges et noirs, les agrumes, la lavande, l’olive, la truffe, les fleurs blanches.Tous ces arômes se retrouvent dans mes vins. Le tout soutenu par une structure dense et tendue, à la texture fine et soyeuse.


- Comment expliques-tu cette sensibilité (et buvabilité) alors que le « style » Rasteau est plutôt concentré ?

Le terroir de Rasteau est principalement argileux et exposé au sud, ce qui signifie précoce. Donc, les maturités sont rapides et la sur maturité est à porté de main ; c’est très facile de faire des bêtes à concours, des vins de dégustation... Je pense que le côté digeste et aérien de mes vins est apporté par cette quête de fraîcheur dans les parfums, les arômes, la structure, l’acidité et le minéral. Il en résulte des vins fins, denses et long en bouche avec une buvabilité surprenante pour des vins à 14 ou 15 degrés (voir plus des fois !)

Il y a un côté métaphysique surtout sur les Adrès, les Ponchonnières et le blanc, une absence de matière ; on dirait qu’il  y a rien, pas de corps et en fait il y a tout… Ces vins sollicitent le cerveau et le nez. Ils diffusent plus en rétro olfaction que lorsqu’on les fait tourner en bouche.




- Je sais que tu es un amateur averti du Languedoc, peux-tu nous parler de ta perception de cette région ?

C’est une région que j’ai découvert il y a une quinzaine d’année, qui c’est beaucoup remise en question. Aujourd’hui je trouve les vins plus fins et moins démonstratifs. Le Languedoc est une mosaïque de terroirs avec des vignerons hyper dynamiques et de plus en plus terroiristes.


- Jean-Philippe Padié est un grand amateur des Adrès….

Ah ! Jean Philippe « c’est comme dans le cochon y’a tout qui est bon ! ». J’aime le personnage, sa philosophie, sa sensibilité, son humour, ses qualités de dégustateur et ses repères gustatifs. J’adore ses vins Milouise et Ciel Liquide c’est du caillou en bouteille. C’est un vigneron qui sait prendre uniquement l’essentiel de son terroir pour en exprimer la noblesse et le champ vibratoire. Le tout avec beaucoup de respect et d’humilité. Il maîtrise le dialecte de l’aristocratie racinaire.


- Quels sont les  points communs entre Rasteau et Languedoc?

Nous faisons partie du vieux vignoble du sud de la France, par conséquent il y a beaucoup de points communs. Nous sommes deux régions chargées par une histoire de vins de cafés (vins dans un but alimentaire après guerre qui a permis de faire connaître le Languedoc et les Côtes du Rhône). Nous avons subit de grands bouleversements qualitatifs, philosophiques et d’image dans les années 1990.

Le climat est assez similaire car les millésimes sont très ressemblants dans le Rhône et le Languedoc, il n’y a que l’importance des orages de façon localisés qui change le diapason. Je pense que les terroirs sont plus diversifiés dans le Languedoc avec la roche mère, le calcaire en surface sur certains secteurs, les schistes, les grès dans d’autre et les argilo calcaires y sont présent, mais le seul terroir existant dans le Rhône sud en général. Il y a beaucoup de vignerons de tout age qui s’installent ou prennent la suite, avec une philosophie simple et saine, respectueuse du lieu et de l’environnement.

 


- Quels sont les producteurs que tu apprécies dans cette région (LR)?

J’aime les vins de La Grange des Pères, pour leur finesse et leur profondeur, Peyre Rose pour l’élégance de la Syrah, Aupillac pour la noblesse du Carignan et du Cinsault, Alain Chabanon pour ses Grenaches de grande classe.


- As-tu des échanges avec des vignerons de cette région ?

J’apprécie beaucoup Blandine et Pierre du Mas Foulaquier dans Le Pic Saint Loup ils sont adorables tous les deux et leurs vins ont beaucoup de pureté et de minéralité, notamment Le Petit Duc 2002 dans le style épuré c’est de la haute voltige !


- Quelles sont les vins que tu bois ?

Dans le Rhône sud je raffole des vins d’Emmanuel Reynaud car ils me procurent une réelle émotion. Sinon je consomme en majorité des Bourgognes (plus Côte de Nuit que Côte de Beaune) puis à des volumes plus faible des Vouvrays de chez Forreau, des Sancerres de chez Edmond Vatan, Vacheron et Cotas. J’adore les Rieslings allemands, ils ont vraiment une acidité et une minéralité déroutante, les Chablis de chez Raveneau pour leur mystère.

A l’étrangers il y a Château Musar au Liban pour son coté éthéré et intemporel, les Barolo de chez Brezza et Sandrone. Après il y a aussi les vins d’ Eric Texier en Brézème et Côte Rôtie, les parcellaires de Chapoutier, les rosés et rouges de Pibarnon. Les blancs et rosés de Château Simone sont des modèles pour moi, les vins de Laurent Ponsot en particulier Clos de la Roche, Clos des Monts Luisants et Clos Saint Denis l’excellence du vin nature.


- Quels sont tes derniers coups de cœur de dégustation ?

Dernièrement j’ai découvert les Champagne de Raymond Boulard et Faley Prévostas. Ce sont des grands vins blancs avec beaucoup de tension. En rouge un Bonnes Mares 2006 de Frédéric Mugnier, Vosne Romanée La Colombière 2006 du Conte Liger Belair et 1er cru Les Chaumes de Méo Camuzet 2006 j’adore : c’est grand de chez grand, ça fait vibrer !


- Tes projets ?

Depuis plusieurs années un gros travail a été fait à la vigne mais j’aimerais utiliser un peu plus souvent le cheval. Puis apporter à mes vins rouges l’élevage qu’ils méritent. Mais je dois passer par la construction d’une cave digne de ce nom et aussi par des années de tâtonnement pour trouver des bois et la bonne contenance qui respectent et révèlent le terroir et l’identité de Trapadis. J’ai du pain sur la planche !




- Pour terminer, parles nous d’un accord met et vins qui fonctionne ?

Personnellement pour parler d’accord mets et vins c’est plus difficile car je ne recherche pas forcement le mariage fusionnel. Ceci dit, je l’apprécie quand ça arrive. En général je reste sur des accords classiques mais je goûte séparément le contenu de mon assiette et de mon verre, on ne se refait pas…

Maintenant voici quelques idées : brouillade de truffes avec un Trapadis blanc de 3 ou 4 ans, le rosé avec des fraises sans sucre et juste mûres, un VDN jeune avec du gibier plutôt à poil, les Ponchonnières avec une mousse au chocolat truffée. Sinon le meilleur accord avec cette Vendange Tardive c’est en fin de repas quand on est bourré, ça dessoule !

 

Un  grand merci à Hélen. Il à pris du temps (et du plaisir) à se prêter à ce délicat jeu. Il a poussé la précision et la sensibilité au plus loin pour répondre au plus juste.

Hélen à d’ailleurs une activité complémentaire depuis peu, il est devenu mon conseiller spécial en vin… c'est dire à quel point son jugement m’interpelle.

Plus qu’une chose à faire, goûter ses vins et vous verrez Rasteau d’un œil différent, je vous l’assure. Voir ICI la gamme complète d’Hélen et ICI pour en acquérir.

Publié dans Rencontre

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R
Bonjour ,Je viens de parcourir ton blog , je le trouve super bien fait .Amitiés,Roland
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